La Jordanie est l'un des pays les plus pauvres en eau au monde. Or, le pays doit faire face à une croissance démographique forte et à une consommation d'eau par habitant en hausse. La Jordanie est donc un terrain crucial pour le programme régional Meda Water de l'Union européenne qui concerne également le Maroc, la Tunisie, les territoires palestiniens, le Liban, l'Égypte et la Turquie. Un programme dont le credo est de mieux gérer l'eau pour consommer moins et mieux utiliser les ressources.
Le niveau de la mer Morte baisse d'un mètre par an. Les sources et les nappes aquifères sont surexploitées. Aujourd'hui, les foyers jordaniens ne reçoivent de l'eau qu'une fois par semaine. Et c'est une moyenne. Autant de symboles de la situation jordanienne en matière de ressources en eau.
L'un des projets phares pour alimenter Amman est le projet de Disi, dont les travaux ont débuté le 13 juillet dernier. Ce projet consiste à pomper dans une nappe aquifère à la frontière saoudienne et à ramener l'eau vers la capitale jordanienne, à plus de 350 km de là. Coût estimé : 875 millions de dollars.
Loin de ces projets pharaoniques, le programme Meda water pour le management de l'eau, lancé en 2003 et doté d'un budget de 40 millions d'euros, apporte des solutions simples à la pénurie d'eau.
Premier exemple à Sleikhat. Dans ce village de la vallée du Jourdain, le mercure flirte avec les 50 degrés en été. Or Sleikhat, niché au pied de la montagne, ne bénéficie pas d'un réseau public d'alimentation en eau. Le millier d'habitants du village dépend dès lors de deux sources dont l'eau est captée avec des moyens rudimentaires. À Sleikhat, Meda Water s'est donc concentré sur une amélioration des techniques de captage de l'eau. « Nous sommes tous fermiers ici, nous produisons des légumes. Depuis qu'un réservoir a été construit et que des tuyaux apportent l'eau au bas de la colline (financement européen à 80 % et autrichien à 20 %, pour un coût de 23 000 dinars), nous ne perdons presque plus d'eau. Avant 50 % de l'eau était perdu entre la source et les champs. C'est simple, nos récoltes ont doublé », explique Abdel Hamid al-Sawaal, président de la coopérative locale. Dans la foulée, les agriculteurs ont accepté de passer à une irrigation plus performante et moins consommatrice en eau, le goutte-à-goutte.
À quelques kilomètres de là, se trouve Shbeh', dans la région de Balqa. Sur ce plateau à 400 mètres d'altitude, l'olivier est roi. Le réseau public de Shbeh' dépend de la station de pompage qui dessert Amman-Ouest. Situé en bout de réseau, ce village ne reçoit plus d'eau depuis 3 mois. Les habitants sont donc contraints de se faire livrer de l'eau par camion-citerne. Une eau qu'ils paient au prix fort aux propriétaires des sources. « Ça nous coûte environ 8 dinars, 10 dollars par semaine », explique Kafeh al-Manasser, président de l'association Argou bel Rashed.
À Shbeh', deux projets ont été mis en place via Meda water. Le premier projet repose sur une idée simple : la construction de citernes pour récupérer l'eau de pluie. « Moi, cela fait trois mois que je vis de l'eau de ma citerne, j'ai donc économisé 10 semaines d'achat d'eau », indique Mohammad, un habitant. Vingt-quatre familles sont aujourd'hui équipées d'une citerne de plusieurs dizaines de m3. L'installation coûte 1 400 dinars jordaniens, environ 1 800 dollars. Chaque famille doit avancer 400 dinars de sa poche, le reste est financé avec un microcrédit sans intérêt. Le projet a eu un franc succès puisque aujourd'hui, près de cinquante familles sont inscrites sur une liste d'attente.
Le second projet a été plus difficile à faire accepter. Meda water a proposé l'installation d'unités individuelles de filtrage des eaux grises. Les eaux de vaisselle, de la douche, du lavabo de la maison sont récupérées, décantées et filtrées dans deux citernes. Le filtrage se fait à travers des couches de gravier et une plantation de bambous. Si la méthode est éprouvée, peu chère (chaque unité coûte 1 100 dinars, environ 1 400 dollars) et efficace, elle a néanmoins suscité quelques interrogations chez les habitants. « Ça fait 3 ans que je ne reçois pas d'eau du réseau, donc j'étais volontaire pour construire cette unité de filtrage dans mon jardin. Les voisins sont venus voir comment ça marchait. Ils voulaient voir s'il y avait des odeurs, ils voulaient savoir si on peut utiliser l'eau pour l'agriculture, les jardins. Il y a des précautions à prendre comme ne pas arroser les légumes, la salade, mais pour les oliviers c'est parfait ! » affirme Mohammad al-Rashid qui a joué les cobayes. Aujourd'hui, Shbeh' compte une dizaine de stations de filtrage. « Nous ne sommes pas autosuffisants, mais on progresse et on fait beaucoup d'économies. Les villages voisins veulent maintenant profiter des mêmes programmes. »
Pour Gert Soer, consultant chargé de piloter Meda Water en Jordanie, le bilan des six années du programme européen, qui touche à sa fin, est satisfaisant. « Nous avons mené des projets pilotes, nous avons beaucoup appris. L'eau est mieux utilisée dans les villages où nous avons travaillé. Ça pourrait être étendu à toute la Jordanie », explique M. Soer, qui souligne qu'outre la question du captage de l'eau et du traitement des eaux usées, le programme Meda water en Jordanie comprend également des projets visant à une amélioration du management des eaux d'irrigation et notamment une réduction de la quantité d'eau utilisée pour l'irrigation. Le consultant relève également l'intérêt que représente le caractère régional de Meda Water. « L'échange d'expériences entre les différents pays qui participent au programme (Jordanie, Maroc, Tunisie, territoires palestiniens, Liban, Égypte et Turquie) est un élément crucial », note-t-il. « C'était un bon programme, mais je suis inquiet pour l'après-programme ! » reconnaît-il néanmoins. À ce jour, il n'existe en effet pas de programme jordanien ou européen pour généraliser l'expérience.
Réorganisation du ministère de l'Eau et de l'Irrigation
À l'autre extrémité de la chaîne de l'eau se trouve le ministère jordanien de l'Eau et de l'Irrigation. C'est lui qui gère le réseau de distribution et finance les gros investissements. Ce ministère est, lui-même, engagé dans un processus de réorganisation. Sous la houlette de l'Union européenne et d'USAid, il essaie d'instiller une logique commerciale dans son administration. Pourquoi ? Tout simplement parce que le secteur de l'eau est le plus subventionné de Jordanie. Il y a dix ans, une unité de management a d'ailleurs été créée au sein du ministère : al-Meyyah Project. « Il n'est pas question de privatiser le secteur de l'eau comme la Jordanie l'a fait pour les télécoms. C'est trop sensible. C'est trop émotionnel », explique Nidal Shaliba, chargé de communication pour Meyyah Project.
Sur le terrain, la société publique al-Miyahuna qui dessert l'agglomération d'Amman a déjà amélioré en interne son efficacité. Aujourd'hui, tous les compteurs sont contrôlés, 800 connexions illégales sont repérées par mois, le nombre de factures impayées a diminué. La compagnie collecte désormais chaque année environ 40 millions de DJ contre 16,5 millions il y a 10 ans. Plusieurs sources, en dehors du ministère, présentent néanmoins une image plus nuancée de al-Miyahuna. Ces sources notent des problèmes de fonctionnement, notamment dans le relevé des compteurs et la relation client.
Aujourd'hui, le ministère externalise des services vers des sociétés de distribution de l'eau. L'expérience en est toujours à ses débuts, mais deux contrats ont déjà été signés. Le principe de l'opération consiste à proposer à des entreprises privées des contrats à durée déterminée pour des services déterminés. Ainsi, à Madaba, une société a pris en charge la relation client, la facturation, le recouvrement et les campagnes d'information. La Micro PSP, Private Sector Participation, permet de moderniser sans investir énormément. C'est l'avantage immédiat. Reste à mesurer la satisfaction du client dans quelques mois pour juger de l'efficacité de cette miniprivatisation.
*Europa Jaratouna est un projet médiatique initié par le consortium L'Orient-Le Jour, al-Hayat, LBC, et élaboré avec l'aide de l'Union européenne. Il traite des actions de l'UE dans 8 pays du sud de la Méditerranée. Pour en savoir plus, visitez le site www.eurojar.org. Le contenu de cette publication relève de la seule responsabilité de L'Orient-Le Jour et ne peut aucunement être considéré comme reflétant le point de vue de l'Union européenne.